Le bilan de l’an Un de la présidence de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo est sur toutes les lèvres. Le 24 janvier 2020, douze mois sont totalisés, jour pour jour, depuis que Joseph Kabila a cédé le fauteuil présidentiel au fils biologique et politique de Feu Etienne Tshisekedi, d’heureuse mémoire, à l’issue des élections controversées de décembre 2018.
Cependant, le marasme socio-économique, la morosité observée particulièrement à Kinshasa la capitale laisse planer un sérieux doute sur la matérialisation de l’idée-force «Le peuple d’abord» par l’actuel Président de la République, héritée de son père. Aux yeux de certains, le haut fait de la présidence Tshisekedi au plan social demeure la gratuité de l’enseignement qui a redonné du souffle aux parents d’élèves. Au plan sécuritaire, les conquêtes des Forces armées dans la partie Est du pays sont aussi à mettre à l’actif du successeur de Joseph Kabila. Pour 2020, le président a promulgué un budget annuel estimé à plus de 10 milliards de dollars, soit près du double du budget précédent (6 milliards de dollars). Il doit permettre de financer d’importants programmes de développement. Mais face à ce budget que plusieurs analystes jugent irréalistes, Félix Tshisekedi a répondu au micro de Jeune Afrique : « Certains n’ont pas compris que les temps avaient changé. Pour un grand Congo, il faut de grandes ambitions. »
Cela suscite un regain de l’élan patriotique en chacun des Congolais. ‘’ Beaucoup reste à faire’’, avait concédé le Président Tshisekedi face aux députés et sénateurs réunis en Congrès. Mais, l’inauguration des sauts-de-mouton se fait toujours attendre au grand dam des automobilistes kinois.
Bilan sombre pour l’opposition
En revanche, l’opposition radicale incarnée par la coalition LAMUKA brosse, sans surprise, un tableau très sombre, de cette première année de la mandature de Tshisekedi. La marche du 17 janvier dernier dispersée par les éléments de la police fait dire au tandem Fayulu – Muzito que c’est la continuité de l’ancien régime tant décrié. Sans aucun doute, les partisans de LAMUKA ont loupé l’occasion au stade des Martyrs de clamer haut et fort pour clamer tout le mal qu’ils pensent du pouvoir en place à Kinshasa.
Le temps des beaux discours est révolu. C’est le moment de passer à l’acte.
Un président de l’extérieur
« C’est un président de l’extérieur », raille un Congolais de la diaspora qui a requis l’anonymat. Il fait allusion aux nombreux voyages en Occident de Félix Tshisekedi, qui a pris le pouvoir en République démocratique du Congo il y a tout juste un an, au terme d’une présidentielle sous haute tension. Conscient d’avoir les mains liés et qu’il ne sera pas libre de gouverner comme il l’entend, Félix Tshisekedi a multiplié dès le début de son mandat les déplacements, notamment en Belgique, en France et aux États-Unis, pour sortir son pays de l’isolement. « Son activisme en Europe et aux États-Unis vise aussi à faire inverser les rapports de force en interne. Il sait que son prédécesseur n’a plus de soutien à l’international à part quelques alliés sur le continent. Mais lui, il parle à tout le monde », estime Trésor Kibangula, analyste pour le Groupe d’études sur le Congo (GEC) basé à New York.
Pouvoir limité
Bien que l’alliance qu’il préside ait pu obtenir des ministères essentiels comme l’Intérieur, l’Économie et les Affaires étrangères, Félix Tshiskedi ne dispose pas d’un véritable pouvoir pour exercer ses prérogatives de chef d’État. Agacé, il a d’ailleurs tapé à plusieurs reprises du poing sur la table pour mettre en garde les ministres encore loyaux à Joseph Kabila qui remettent en cause ses ordres. À l’instar de Clément Kuete Nymi Bemuna, ministre du Portefeuille, ou de José Sele Yalaghuli, ministre des Finances. Le premier a bloqué des ordonnances présidentielles de nomination de hauts cadres à la tête de la Gécamines, le géant des mines congolais, et de la Société nationale des chemins de fer depuis juin 2019. Et le second réchigne à débloquer des fonds pour l’exécution de certains projets.
Une coalition sous tension
Dimanche à Londres, lors d’une rencontre avec la diaspora congolaise en marge du sommet Royaume-Uni-Afrique sur l’investissement, le président congolais a menacé de « virer » des ministres, si ses partenaires de la coalition sapaient son pouvoir. « Le Congolais m’a confié une mission et je dois rendre compte à ce peuple. Et celui qui ne va pas suivre mes instructions et qui s’attachera aux instructions de sa famille politique, il sera viré », a déclaré Félix Tshisekedi. « Jusqu’à présent, je n’ai vu aucun ministre s’opposer à mes décisions. Mais certains ministres me disent qu’ils subissent des pressions », a-t-il ajouté dans un discours en lingala, la langue nationale du pays. Preuve des tensions réelles au sein de la coalition, le chef de l’État a également brandi la menace d’une dissolution de l’Assemblée nationale : « Je ne peux pas dissoudre l’Assemblée nationale tant qu’il n’y a pas crise ». Mais en cas d' »obstruction », « je serai contraint, en fin de compte, de prendre [cette] décision ». « Félix Tshisekedi n’a de réel contrôle ni sur l’armée ni sur le Parlement. Menacer de dissoudre l’Assemblée est peut-être une manière de mettre la pression sur le FCC de Joseph Kabila et se ménager des marges de manœuvre. Mais c’est un risque que le président ne prendrait pas. Rien n’est moins sûr qu’il obtiendra des résultats autres que celles des législatives précédentes », estime Trésor Kibangula. Une éventuelle dissolution de l’Assemblée avant les prochaines élections en 2023 « serait une bombe atomique », avec des « conséquences incontrôlables », affirme pour sa part à l’AFP Richard Moncrieff, expert du centre de rélexion International crisis group (ICG). « Tshisekedi a émis des menaces mais son plan A, c’est de continuer la coalition avec Kabila », ajoute-t-il.
Rendez-vous manqué
Le Chef de l’Etat avait prévu de s’adresser au peuple vendredi 24 janvier dernier au satde des Martyrs à l’occasion de l’an de la passation pacifique du pouvoir entre lui et son prédécesseur Joseph Kabila. Et pourtant quelques semaines auparavant, le Président de la République avait déclaré que la commémoration de l’an Un de la toute première alternance pacifique et démocratique se déroulera dans la méditation. Des cultes d’actions de grâce seront célébrés partout au pays. Histoire de mettre fin à la polémique sur les six millions de dollars à débourser par le trésor public pour les cérémonies commémoratives initialement prévues à cette occasion. Après son récent discours-fleuve sur l’état de la nation au Palais du Peuple, sous forme de bilan, Félix Tshisekedi allait encore dire quoi de nouveau ? Lui qui a décrété 2020 Année de l’Action, fera-t-il de nouvelles promesses ? Ne faudrait-il pas passer directement aux choses sérieuses ? L’élection en janvier 2019 du fils de l’opposant historique Étienne Tshisekedi, longtemps opposé aux Kabila (père et fils), avait marqué pour la première fois une alternance pacifique à la tête de ce pays immense d’Afrique centrale. Mais pour que Joseph Kabila, resté au pouvoir pendant 18 ans, cède son fauteuil, Félix Tshisekedi, à la tête de l’alliance CACH, a dû accepter de former une coalition avec le mouvement Front commun pour le Congo (FCC) de son prédécesseur qui contrôle le Parlement et dispose de solides relais dans l’appareil sécuritaire. Conséquence, le nouveau président congolais s’est retrouvé au terme de sept mois de négociations avec un gouvernement pléthorique de 65 ministres et d’une centaine de conseillers composé aux deux-tiers par des membres du clan Kabila.
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