Après l’inévitable divorce entre le FCC et le CACH à la suite de la contradiction entre sa vision et la méthode de gestion de son prédécesseur et partenaire jadis au pouvoir, le président Félix A. Tshisekedi est dans un tournant décisif de son quinquennat. La réalisation des perspectives traduites dans son programme politique approuvé par l’Assemblée nationale courant avril 2021 en vue de concrétiser ses promesses électorales est plus qu’impérieuse. Le contexte s’y prête avec un parlement et un gouvernement qui lui sont acquis à travers l’Union Sacrée de la Nation. Mais, l’argent nécessaire au financement de cet ambitieux dessein reste hypothétique dans une conjoncture marquée, entre autres, par la guerre de l’Est et la pandémie du Covid-19 qui grèvent le budget national déjà précaire. Avec le regain des cours des minerais sur le marché international, le secteur minier aurait dû être, dans ce cas, le levier de la croissance socio-économique en RDCongo. Mais, le contrôle des minerais échappe à l’Etat congolais réduit au rôle de simple réservoir des matières premières au profit des multinationales, bénéficiaires des contrats somme toutes léonins. Afin de tirer parti pour le pays et son peuple, le Président Félix A. Tshisekedi tente de renégocier lesdits contrats sur fond d’une difficile manœuvre entre, principalement, la Chine et les USA. De quels atouts dispose-t-il et quelle peut être la réaction de Pékin qui est présentement le plus grand producteur du cobalt au monde, parce que contrôlant à lui seul 80 % de la production de la RDCongo qui dispose de 60 % de réserve mondiale de ce minerai stratégique ? Est-ce finalement la RDCongo sera le théâtre de la guerre commerciale que se livrent sans merci ces deux grandes puissances ?
Le président Félix Antoine Tshisekedi n’a pas donné sa langue au chat lors de sa récente visite dans l’ex-Katanga, plus précisément à Lubumbashi et à Kolwezi. Il a annoncé son intention de renégocier les contrats miniers qui, en définitive, ne profitent pas aux Congolais. Sans atermoiement, il a laissé entendre qu’«il n’est pas normal que ceux avec qui le pays a signé des contrats d’exploitation s’enrichissent pendant que nos populations demeurent pauvres. Ils viennent les poches vides, s’enrichissent seuls et repartent milliardaires. Il est temps que le pays réajuste ces contrats pour sceller des partenariats gagnant-gagnant». Et de renchérir : «Nous allons discuter avec les investisseurs pour y voir plus clair (…) Ils nous ont trop volé (…). C’est pour ça que nous allons parler aux miniers pour leur exprimer notre conception des choses. Nous ne voulons pas leur faire la guerre, mais plutôt leur faire comprendre que notre philosophie c’est le peuple d’abord afin qu’ils travaillent pour le Congo et les Congolais». Le chef de l’Etat n’a pas non plus épargné l’élite dirigeante, cette bourgeoisie compradore, à la base de cette forfaiture. La faute, a-t-il noté, nous incombe aussi en ce que certains de nos compatriotes ont mal négocié lesdits contrats. Pis encore, ils ont mis dans leurs propres poches le peu qui revenait à l’État.
Sans doute, l’idée de renégocier les soi-disant contrats était en train de faire son petit bonhomme de chemin afin de faire bénéficier aux Congolais le produit de leurs richesses, mais les bouleversantes et traumatisantes révélations d’Albert Yuma en ont été le véritable détonateur. Un véritable mea culpa, un repentir des criminels qui a fait sauter aux yeux la supercherie dont a été victime la nation congolaise.
A travers une interview, le PCA de la GECAMINES, doublé de président du patronat congolais, s’est fait fort de donner des explications sur la structure institutionnelle du pillage international des richesses du sous-sol congolais. Il a indiqué solennellement que c’est sur base des conseils des partenaires, dont la Banque Mondiale et le FMI, que les actifs miniers du pays détenus en particulier par la GECAMINES avaient été cédées pour exploitation à des multinationales sous l’espoir que celles-ci génèreraient de la croissance économique à travers l’apport de leurs capitaux. Contre toute attente, ces trusts, au nombre desquels KCC, TFM, RWASHI, SICOMINES et GLENCORE, feront le choix de gager leurs titres obtenus gracieusement auprès des banques étrangères pour recevoir des prêts avec, sûrement, des intérêts sur le dos de l’entreprise publique congolaise.
Par ce jeu de passe-passe, la GECAMINES est devenue, en un tour de main, actionnaire minoritaire sur des sites où elle avait un contrôle absolu. Elle ne représentait quasiment plus rien vis-à-vis de ces vautours qui se sont adjugés la majorité des actions pour s’assurer ainsi le contrôle de l’exploitation et la production des minerais congolais. Actif dans cette transaction funeste, Albert Yuma va verser des larmes de crocodile, regrettant ainsi une erreur grave que le pays n’aurait pas dû commettre en accordant plus d’actions aux sociétés occidentales et chinoises au sein de la Générale des Carrières et des Mines. Et curieux, alors que la production de ces entreprises culmine aujourd’hui au-delà d’un million des tonnes par an, celles-ci contribuent paradoxalement à moins de 15 % au budget du pays. Pourtant en son temps, la GECAMINES, avec environ 500 milles tonnes par an, contribuait à hauteur de 70 % au budget de l’Etat. C’est désormais ces multinationales, mises en évidence dans toutes les statistiques, qui exportent et non la RDCongo. Comble de tout, le patron des patrons a même fait un aveu d’impuissance de l’Etat congolais vis-à-vis de ces multinationales en annonçant la création d’une structure dénommée «Société Générale du Cobalt» au lieu de les inviter à la révisitation des contrats décriés qui les lient à la GECAMINES. Dépendant de cette dernière, la nouvelle structure serait destinée à règlementer l’artisanat dans le secteur colbatifère. Une façon de crucifier pour la deuxième fois les populations dont la survie dépend de ce secteur artisanal.
Devant un tel bradage qui prive le pays des ressources nécessaires pour son développement et le bien-être de ses populations, le président Félix A. Tshisekedi n’a pas eu d’autre choix que d’en appeler officiellement à la renégociation de ces contrats revêtant un caractère léonin. Avec ce que tout cela peut comporter comme conséquences fâcheuses au vu de la carrure des puissances en compétition sur les minerais congolais. De quels atouts dispose-t-il pour manœuvrer entre les deux géants dont l’un, la Chine, a fait main basse sur les ressources congolaises et l’autre, les USA, qui se met en ordre de bataille pour la reconquête du terrain perdu ?
Entre Pékin et Washington
Après deux ans d’exercice de pouvoir, la coalition FCC-CAH a montré ses limites. Faute de majorité à l’Assemblée nationale, la vision du nouveau président Félix A. Tshisekedi est entrée en contradiction avec la méthode de gestion de son prédécesseur, incarnée par le FCC dans les institutions de la République. Des rencontres et négociations menées entre ces deux plateformes pour trouver la convergence nécessaire afin de cheminer ensemble pour reconstruire l’Etat se sont révélées vaines.
Devant une telle quadrature du cercle, l’ancien sociétaire de l’UDPS résoudra de s’autonomiser par rapport à son partenaire en se défaisant du carcan qui limite son champ d’action. Donc, faire voler en éclats la coalition tout en s’arrogeant une majorité à travers l’Union Sacrée de la Nation. Il s’en suivra l’engloutissement de la ceinture protectrice institutionnelle de l’ancien président de la République avec la déchéance de Jeanine Mabunda, Sylvestre Ilunga Ilunkamba et Alexis Tambwe Mwamba, respectivement présidente de l’Assemblée nationale, Premier ministre et président du Sénat. Ceux-ci sont aussitôt remplacés par Christophe Mboso N’Kodia Puanga, Jean-Michel Sama Lukonde et Modeste Bahati Lukwebo, tous devenus proches du président de la République. Et pour boucler la boucle, un autre pro Tshisekedi a pris la présidence de la Cour Constitutionnelle.
Plus rien donc ne pouvait ne pouvait empêcher le déroulement du programme politique du chef de l’Etat défendu à la chambre basse par le Premier ministre dont le Gouvernement a été investi le 26 avril dernier. Mais, son financement n’est pas pour autant de plus aisés, les caisses de l’Etat n’étant pas suffisamment alimentées. La renégociation des contrats miniers se fit donc impérative afin de renflouer le Trésor public en plus des recettes additionnelles attendues de l’apport des différents bailleurs de fonds qui se font prier pour délier les cordons de leurs bourses. Autrement dit, voir dans quelle mesure récupérer ce qui est possible auprès des Chinois, pourtant, décidés à consolider leur position par l’acquisition des nouveaux titres, et répondre positivement à la requête des Américains de plus en plus animés par le sentiment de retour alors qu’ils s’étaient débarrassés en 2016, à travers Freeport Mc-Moran, de leurs actifs estimés à 56 % au sein de la concession de TFM (Tenke et Fungurume) s’étendant sur 1600 km2 au profit de China Molybdenum pour un montant de 2,65 milliards de dollars. La multinationale chinoise, productrice de cobalt, de cuivre, de tungstène et de niobium, se classait ainsi 2ème producteur en RDC derrière la Canadienne Glencore.
Les Chinois ne se sont pas arrêtés en si bon chemin. Un autre géant, CATL (Contemporary Amperex Technology), leader mondial des batteries, a débloqué 137,5 millions de dollars début avril 2021 pour acquérir 25% de la mine de Kisanfu en RDCongo. Détenue majoritairement par China Molybdenum, c’est l’une des plus grandes sources de cobalt non développées au monde. De quoi garantir l’augmentation de sa production de batteries pour véhicules électriques.
Toute la question est donc de savoir si la Chine, qui attend affirmer son leadership eu égard, notamment, à l’essor du véhicule électrique, va accepter de se délester de certaines parts du marché du cobalt et d’autres minerais aussi stratégiques par la magie de renégociation de certains contrats sollicitée par Kinshasa. Et de la sorte permettre à son concurrent qui fait le forcing en forçant la main du Congo par moult pressions diplomatiques d’en gagner quelques pans. Point n’est besoin de rappeler que la Chine a été contrainte en 2008 d’accepter un avenant sur pression du FMI et de la Banque Mondiale de revoir à la baisse le montant de 9,2 milliards de dollars couvrant le troc portant sur la fourniture d’infrastructures en contrepartie directe des minerais congolais. Cela afin de limiter les graves risques de surendettement du Congo que n’aurait pas manqué de générer un tel package.
En attendant la Chine garde la main sur le cobalt congolais. Une situation qui n’enchante pas les Etats-Unis, déterminés à inverser la tendance avec l’avènement au pouvoir du président Félix A. Tshisekedi. Point de dessin à faire pour se rendre compte que ce dernier bénéficie vivement du soutien de Washington. L’engagement de Peter Pham, Envoyé spécial des USA dans les Grands Lacs, et de l’Ambassadeur Mike Hammer se passe de tout commentaire. Mais, Pékin ne semble pas être prêt à se faire damer les pions. Le dernier tweet de son Ambassadeur en RDCongo, M. Zhu Jing, est indicatif. Ce dernier a déclaré que «la RDC et l’Afrique ne doivent pas être le champ de bataille des puissances. Soyons vigilants à ceux qui crient aux combats et cherchent à créer de l’hostilité». L’empire du milieu clame aussi son soutien au président Félix A. Tshisekedi eu égard à son élection contestée autrefois par les Occidentaux. La guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine a donc pris une autre allure.
Point de doute. Le président congolais balance entre la Chine et les Etats-Unis. Il a donc choisi l’arme diplomatique pour ne blesser ni l’un ni l’autre. Après avoir conféré à Kinshasa au mois de janvier 2021 avec Wang Yi, ministre chinois des Affaires Etrangères, il a eu il y a peu un entretien téléphonique avec son homologue chinois, Xi Jiping. En sus, dans son discours sur l’état de la nation le 14 décembre 2020 devant le Parlement réuni en congrès, le chef de l’Etat congolais avait déclaré solennellement le souhait de la RDCongo de raffermir la coopération avec la Chine, principalement, en matière d’infrastructures.
(Par Moïse Musangana)
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