Samedi 5 avril 2025 restera gravé dans la mémoire des habitants de Kinshasa comme le jour où la rivière Ndjili, excédée par des années d’irresponsabilité, a décidé de reprendre ses droits. Des maisons englouties, des routes transformées en torrents, des familles jetées à la rue – le spectacle est désolant, mais hélas, pas surprenant.
Car derrière cette catastrophe dite “naturelle” se cache une vérité crue : l’incompétence criminelle de l’élite congolaise, toutes générations et tous régimes confondus. Comment en est-on arrivé là ? La réponse est simple : la RD Congo n’est pas un État, c’est une vaste zone de pillage. Urbanisation ? Un concept étranger pour ces quelques milliers de privilégiés qui se considèrent “maîtres de la RD Congo”.
Des caciques des régimes passés jusqu’aux nouveaux prédateurs du pouvoir actuel, tous ont transformé Kinshasa en un terrain de jeu pour leurs caprices immobiliers. Des constructions sauvages sur des terrains réservés, des maisons érigées sur des voies d’évacuation d’eau, et même – comble du ridicule – des villas plantées sur d’anciennes voies ferrées. Des responsables bien connus mais intouchables.
Qui ose encore parler d’urbanisme dans une ville où les permis de construire s’achètent comme des sachets d’eau ? Où les zones inondables sont loties et revendues à des prix d’or par des ministres, des généraux et des députés ? La rivière Ndjili n’a pas débordé par hasard : elle a été poussée à bout par des années de gabegie et d’impunité. Les noms circulent dans les ruelles de Kinshasa.
Tel ancien ministre propriétaire d’une résidence luxueuse sur un bassin de rétention, tel général qui a fait construire son “palais” en obstruant un collecteur d’eaux pluviales, tel député actuel qui a “légalisé” l’occupation anarchique des berges. Tout le monde les connaît. Mais en République démocratique du Congo, la justice est une denrée rare sauf pour les pauvres.
Un dépôt pharmaceutique, détenu par des puissants sujets étrangers qui corrompent tous les dignitaires de la République sans exception aucune, s’est même érigé sur un collecteur d’eaux usées d’une société brassicole sur la route Poids-Lourds détruisant l’asphalte et compliquant la vie de tout le monde en toute impunité. Pendant ce temps, les autorités municipales et nationales jouent les vierges effarouchées.
Catastrophe naturelle, pluies diluviennes, phénomène exceptionnel – le vocabulaire est bien rodé pour éviter de nommer les vrais coupables que d’aucuns s’évertuent de protéger malgré leurs crimes. On préfère lancer des “appels à la solidarité” plutôt que des mandats d’arrêt. Kinshasa est devenue un Far-West urbain et la RD Congo, championne du monde du chaos organisé. Certains pays ont des plans d’urbanisation.
Le Kongo, lui, a des mafias immobilières. Certaines nations protègent leurs citoyens des inondations. Ici, on protège les intérêts des nantis qui ont construit sur les canaux de drainage. Résultat ? Kinshasa n’est plus une jungle, c’est un Far-West où la loi du plus riche – et du plus proche du pouvoir – prime sur tout. Et demain ? Rien ne changera. Le peuple Congolais a tout perdu dans cette inondation.
Il a perdu le très peu de patrimoine qui lui permettait de survivre. Demain, les mêmes responsables viendront, micro en main, promettre des “mesures fortes” devant les caméras. On débloquera des fonds “d’urgence” qui disparaîtront dans les poches des mêmes prédateurs. Les sinistrés seront oubliés, tandis que les bétonneurs de l’apocalypse continueront à bâtir leurs fortunes sur la misère de notre peuples.
La prochaine inondation est déjà programmée. Et comme d’habitude, ce ne sera pas la faute de la rivière, mais de ceux qui ont transformé la RD Congo en un État failli à force de ne penser qu’à leur ventre. Un jour, ce peuple que l’on méprise et qui en a déjà assez de voir sa vie bafouée, son avenir compromis et son pays sombrer dans l’indifférence générale se lèvera.
TEDDY MFITU
Polymathe, chercheur et écrivain / Consultant senior cabinet CICPAR













