La condamnation récente de l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo à dix ans de travaux forcés pour détournement de fonds publics, ainsi que les poursuites judiciaires implicites visant l’ancien président Joseph Kabila, marquent un tournant sans précédent dans l’histoire juridique de la RDC. Ces décisions, rendues par la Cour Constitutionnelle, redéfinissent les limites de l’immunité des hauts dirigeants.
Elles ouvrent la voie à une possible judiciarisation massive des anciens responsables politiques et institutionnels. Mais cette jurisprudence soulève des questions fondamentales : s’agit-il d’une avancée majeure pour l’État de droit, ou d’une manipulation politique visant à éliminer des opposants gênants ? Quels sont les avantages et les risques d’une telle interprétation extensive de la Constitution congolaise ?
Les faits : la condamnation de Matata Ponyo et les poursuites implicites contre Joseph Kabila. Le cas Matata Ponyo est-il un précurseur ? La condamnation pour détournement de 285 millions de dollars dans le cadre du projet agro-industriel Bukanga-Lonzo, un échec retentissant censé réduire la dépendance alimentaire du pays. La peine est inédite.
10 ans de travaux forcés, une sanction extrêmement rare pour un ancien chef de gouvernement. augustin Matata Ponyo dénonce une manœuvre politique, soulignant que la Cour Constitutionnelle s’est déclarée incompétente en 2021 avant de revenir sur sa décision sous pression. Longtemps Joseph Kabila s’est cru intouchable avant d’être dans le collimateur.
Bien que non encore formellement inculpé, Joseph Kabila est indirectement visé par les enquêtes sur les détournements massifs sous son régime (2012-2019). Il s’est caché sous la loi sur les anciens présidents (2018), bénéficiant d’une immunité partielle, d’une pension à vie, de logements de luxe et d’une sécurité renforcée. La jurisprudence Matata pourrait remettre en cause ce statut privilégié.
Elle pourrait étendre les poursuites à tous les anciens dirigeants. Il s’agit bel et bien d’une nouvelle interprétation de la Constitution. Le principe du parallélisme des formes implique que tous les chefs de corps seraient désormais poursuivables. La Cour Constitutionnelle a statué que l’immunité parlementaire ne protège pas un individu contre des poursuites engagées avant son élection.
Cette décision crée un précédent. Il y a un élargissement des cibles : Gouverneurs, chefs militaires, dirigeants d’institutions indépendantes (CENI, Cour Suprême) pourraient être inquiétés. Serait-ce la fin de l’impunité des élites ? Ce serait une avancée si la justice reste impartiale, mais un risque de chasse aux sorcières si les poursuites sont sélectives. Cette jurisprudence a tout de même des avantages.
Il y a renforcement de l’État de droit. Enfin, une justice qui ose s’attaquer aux puissants. Il pourrait y avoir dissuasion contre la corruption. Les futurs dirigeants sauront qu’ils ne sont plus intouchables. Il y aurait restauration de la confiance publique. La population voit que les responsables de la misère économique peuvent être sanctionnés. Mais il y a aussi des dangers potentiels.
Une instrumentalisation politique : le pouvoir actuel pourrait utiliser la justice pour éliminer ses adversaires (comme sous Kabila en 2011 ). Une instabilité institutionnelle : si tous les anciens dirigeants sont traînés en justice, cela pourrait décourager les transitions pacifiques. Un conflit des interprétations constitutionnelles : la Cour Constitutionnelle est accusée de partialité, ce qui sape sa légitimité.
Une justice indépendante et systématique devrait lancer des poursuite des autres responsables (gouverneurs corrompus, généraux impliqués dans des massacres). Réviser la loi sur l’immunité des anciens présidents pour éviter les abus. Éviter une justice à deux vitesses où seuls les opposants sont condamnés, tandis que les proches du régime actuel restent impunis.
Une déstabilisation politique avec un risque de représailles et de radicalisation des factions exclues du pouvoir. C’est une opportunité historique à saisir avec prudence. La condamnation de Matata Ponyo et les poursuites envisagées contre Joseph Kabila représentent soit une révolution judiciaire salutaire, soit un dangereux précédent de justice sélective.
Pour que cette jurisprudence soit bénéfique, trois conditions sont indispensables : une application impartiale, sans distinction politique, une réforme constitutionnelle clarifiant l’immunité des dirigeants et un renforcement des institutions judiciaires pour éviter les manipulations. Si ces conditions sont remplies, la RDC pourrait enfin entrer dans une ère de reddition des comptes.
Sinon, ces procès ne seront qu’un nouvel épisode de la lutte pour le pouvoir, au détriment du peuple congolais. Pensez-vous que cette jurisprudence va renforcer la démocratie en RDC, ou est-ce une manœuvre politique déguisée ?
TEDDY MFITU
Polymathe, chercheur et écrivain/ Consultant senior cabinet CICPAR













