Inaugurée en 2018, la Statue de l’Unité, située dans le Gujarat en Inde, se dresse fièrement à 240 mètres de hauteur, incluant sa base. Ce monstre d’acier et de bronze est presque trois fois plus élevé que la célèbre statue de la Liberté à New York, mais au-delà de ses dimensions impressionnantes, elle soulève des questions profondes sur le nationalisme, la mémoire collective et le rapport à l’art dans une société moderne.
La statue représente Sardar Vallabhbhai Patel, un des pères fondateurs de l’Inde moderne et le premier vice-premier ministre du pays. Considéré comme un architecte de l’unité nationale, Patel a joué un rôle essentiel dans l’intégration des États princiers au nouvel État indien après l’indépendance en 1947. La statue se veut un hommage à son héritage.
Mais elle incarne également une vision politique que le gouvernement indien actuel cherche à promouvoir : celle d’une Inde unie et forte. Le coût du projet, estimé à environ 420 millions de dollars, a suscité de vives critiques. Dans un pays où une grande partie de la population vit encore dans la pauvreté, certains estiment que cet investissement aurait pu être mieux utilisé.
Notamment pour résoudre des problèmes sociaux urgents tels que l’éducation, la santé ou l’infrastructure. La décision de déployer des ressources colossales pour ériger une statue monumentale en dit long sur les priorités du gouvernement, qui choisit de célébrer le passé glorieux plutôt que d’affronter les défis contemporains.
La Statue de l’Unité a été conçue pour devenir une attraction touristique majeure, attirant des millions de visiteurs chaque année. Cependant, elle soulève des inquiétudes quant à sa capacité à unir véritablement une nation aussi diverse que l’Inde. Au contraire, certains critiques soutiennent qu’elle pourrait exacerber les divisions régionales et religieuses.
En mettant en avant une figure emblématique du nationalisme indien, la statue pourrait renforcer un récit qui marginalise d’autres voix et histoires au sein du pays. Sur le plan artistique, la Statue de l’Unité est un exploit technique, réalisée par l’ingénieur Ram V. Sutar, mais elle questionne également la place de l’art dans la société. La grandeur des statues monumentales a souvent été utilisée pour transmettre des idéologies politiques.
Et Goliath Patel n’échappe pas à cette règle. Est-ce que l’art devrait servir à glorifier des figures historiques ou devrait-il aussi être un miroir des réalités sociales et des luttes contemporaines ? La statue soulève des débats sur le rôle de l’art dans l’espace public et son utilisation comme outil de propagande. Le site de la statue a également été critiqué pour son impact environnemental.
La construction a nécessité des défrichages importants dans une région déjà vulnérable écologiquement. Alors que l’Inde se débat avec les effets du changement climatique et la dégradation de l’environnement, la Statue de l’Unité pose la question : à quel prix l’unité et la grandeur sont-elles obtenues ?
Les conséquences environnementales de tels projets doivent être prises en compte dans une époque où la durabilité est plus cruciale que jamais. La Statue de l’Unité est un symbole puissant, mais aussi un point de discorde. Elle incarne les aspirations d’une nation moderne tout en mettant en lumière des fractures profondes.
Au-delà de sa stature physique impressionnante, elle représente un débat sur l’identité nationale, le rôle de l’art et les priorités sociétales. Dans une Inde en pleine mutation, cette statue est à la fois un monument à célébrer et une critique à entendre. La véritable unité ne se construit pas seulement avec des statues, mais à travers des actions concrètes qui répondent aux besoins et aux voix de tous les citoyens.
TEDDY MFITU
Polymathe, chercheur et écrivain / Consultant senior cabinet CICPAR













