La réunion tripartite de Doha entre Félix Tshisekedi, Paul Kagame et l’Émir qatari Tamim bin Hamad Al Thani a cristallisé l’un des scandales géo-économiques les plus troubles du XXIe siècle. Derrière les poignées de main protocolaires se joue une partie d’échecs où s’entremêlent prédation économique, blanchiment à grande échelle et résilience diplomatique.
Si les observateurs saluent le « réalisme » de Kinshasa, cette rencontre interroge : pourquoi la RDC, victime d’une agression systémique, offre-t-elle une bouée à son bourreau rwandais, enlisé sous les sanctions occidentales ? Ce ballet diplomatique dans l’ombre du métal rouge est en réalité une guerre de l’or qui perdure comme un mauvais héritage des décennies de prédation.
Depuis 1994, le Rwanda de Paul Kagame instrumentalise la sécurisation de ses frontières pour justifier des incursions en RDC, transformant l’Est congolais en colonie économique informelle. Les rapports du Groupe d’experts de l’ONU documentent un pillage méthodique : 70 % de l’or congolais transite illégalement via le Rwanda qui s’est permis d’installer une raffinerie sans avoir des carrières aurifères.
Le Rwanda où la raffinerie Gasabo (sanctionnée par l’UE) blanchit le « métal rouge » en complicité avec des réseaux qataris. Ce trafic, estimé à 800 millions de dollars annuels, alimente un système où Kigali joue le rôle de courtier, Doha de plaque tournante, et Luxembourg de sanctuaire financier. Le Qatar et le Luxembourg sont donc les deux faces d’un blanchiment « légalisé ».
Le Qatar, bien que médiateur affiché, est un maillon clé de cette chaîne. L’or congolais, une fois estampillé « made in Rwanda », est acheté par des conglomérats qataris proches du pouvoir, avant que les fonds ne transitent par des filiales luxembourgeoises – paradis fiscal historique de l’UE. Ce circuit, légal en apparence, illustre la collusion entre États prédateurs et capitalisme offshore.
Ironie cruelle : le Luxembourg, siège de l’initiative européenne contre le blanchiment, héberge les comptes où s’évapore l’argent du sang congolais. Face à cette prédation, la RDC a opéré une révolution médiatique avec Patrick Muyaya et diplomatique avec Thérèse Kayikwamba. En déconstruisant les « fake news industrielles » rwandaises, Kinshasa a retourné l’opinion publique internationale.
Les sanctions américaines, canadiennes, anglaises, allemandes, de l’Union Européenne (gel des avoirs de proches de Kagame) et belges ont asphyxié Kigali, dépendant à 40 % de l’aide extérieure. Le Rwanda a consenti finalement à retirer ses forces terroristes du RDF/M23 du Nord et Sud-Kivu – une victoire tactique pour la RDC. Mais pourquoi Félix Tshisekedi a-t-il tendu la main à Paul Kagame à Doha ?
La réponse réside dans une realpolitik impitoyable. En acceptant Doha, la RDC légitime Sheikh Tamim bin Hamad Al Thani comme médiateur, tout en l’exposant à une contradiction : le Qatar peut-il être juge et partie ? Kinshasa pousse Kigali dans ses derniers retranchements car les concessions rwandaises (retrait des troupes) sont publiquement un aveu de culpabilité et amorce tactiquement l’après-Kagame.
En isolant le régime Rwandais, Kinshasa mise sur une transition rwandaise post-2027 (élections). Cependant, ce calcul comporte un risque. Celui de normaliser Paul Kagame, dont la survie politique dépend désormais de l’or congolais. Derrière les sanctions occidentales se cache une hypocrisie structurelle. Les États-Unis et l’UE, tout en sanctionnant Gasabo, ferment les yeux sur le Luxembourg.
Ce paradis fiscal – membre fondateur de l’UE – où transitent les fonds. De même, la Grande-Bretagne, hôte de RwandAir (liée à Paul Kagame), n’a jamais gelé les avoirs de la famille présidentielle rwandaise. Cette schizophrénie rappelle les années 1990, quand les mêmes puissances finançaient le Rwanda tout en sachant son implication dans le pillage sauvage et les exactions macabres en RDC.
Si la RDC incarne aujourd’hui une rare résilience africaine face à la prédation, sa stratégie reste vulnérable. En légitimant le Qatar – acteur opaque du capitalisme global –, Kinshasa risque de remplacer un prédateur par un autre. La vraie victoire viendra lorsque les multinationales (dont certaines européennes) achèteront l’or congolais directement à la RDC, en finançant écoles et hôpitaux plutôt que des milices.
En attendant, Doha 2025 restera un symbole : celui d’un monde où le sang se lave avec de l’or, et la paix s’achète avec des silences complices. L’histoire jugera si cette rencontre fut un armistice ou une capitulation déguisée. Mais une leçon demeure : dans la géopolitique des matières premières, les victimes d’hier peuvent devenir les stratèges de demain – pourvu qu’elles osent défier l’ordre établi.
TEDDY MFITU
Polymathe, chercheur et écrivain / Consultant senior cabinet CICPAR












