En quatre ans, la Faculté de droit de l’Université de Kinshasa (UNIKIN) aurait produit plus de 80 docteurs en droit, un chiffre qui interpelle tant il contraste avec la rigueur traditionnellement associée à ce titre prestigieux. Dans un pays où l’enseignement supérieur peine à se relever de décennies de négligence, une telle inflation de diplômes, un déluge de docteurs suspect intrigue.
Les Congolais sont-ils soudainement devenus des génies du droit, ou assiste-t-on à un bradage systémique des titres universitaires ? Le Doyen Jean-Louis Esambo Kangashe, figure emblématique de cette faculté, se doit de répondre. Car derrière ces chiffres se cachent peut-être des compromissions, des passe-droits, un laxisme scientifique, une dégradation intellectuelle et une corruption académique.
Des réalités qui souillent la réputation de l’une des plus anciennes institutions d’enseignement du pays. Cette production industrielle de docteurs interroge. 80 thèses en 4 ans signifient environ 20 doctorats par an, soit près de 2 par mois. Un rythme effréné qui contraste avec les standards internationaux, où une thèse de droit digne de ce nom exige des années de recherche, de publication, et de validation par des pairs.
À titre de comparaison, dans les universités occidentales, un doctorat en droit nécessite au moins trois à cinq ans de travail acharné, avec des exigences strictes en matière de publications scientifiques et de soutenances rigoureuses. À l’UNIKIN, cependant, les règles semblent s’être assouplies, des procédures bafouées voire contournées. Selon les textes réglementaires de l’UNIKIN, un doctorant doit :
Publier au moins deux articles scientifiques, dont un dans une revue indexée internationalement. Soumettre son travail à un comité d’encadrement strict avant la soutenance et passer une pré-soutenance interne avant la soutenance publique. Or, face à une telle production massive de thèses, on peut légitimement douter que ces critères aient été respectés pour tous les candidats.
Combien de ces 80 thèses ont réellement été soumises à une évaluation indépendante et exigeante ? Le Professeur Jean-Louis Esambo Kangashe, doyen de la Faculté de droit et lui-même auteur d’un ouvrage de référence en droit constitutionnel, est au cœur de ce système. Serait-il un gardien de la rigueur ou complice du laxisme ? C’est tout de même un paradoxe troublant.
D’un côté, il se présente comme un défenseur de l’excellence académique, ayant lui-même suivi un parcours rigoureux (doctorat à la Sorbonne). De l’autre, sous son mandat, la faculté semble avoir industrialisé l’octroi des doctorats, au point où l’on peut se demander si les comités de thèse sont réellement indépendants ou soumis à des pressions politiques et financières.
Les publications exigées sont authentiques ou simplement achetées dans des revues prédatrices (déjà dénoncées par l’UNIKIN elle-même). Les soutenances ne sont plus que des formalités, où l’on valide des travaux médiocres par clientélisme ou complaisance. Où est passée la “Colline inspirée”, jadis fière de son prestige intellectuel, aujourd’hui réduite à une usine à diplômes ?
Les conséquences sont désastreuses pour la société congolaise qui a une justice et une administration gangrenées par l’incompétence. Ce bradage des titres n’est pas qu’une affaire universitaire. Il a des répercussions dévastatrices sur toute la société. Des “docteurs” incompétents se retrouvent juges, avocats, professeurs, ou hauts fonctionnaires, minant la crédibilité des institutions.
Une dévaluation générale des diplômes, où le titre de “docteur” ne signifie plus grand-chose, sauf pour ceux qui ont acheté leur parcours. Une fuite des cerveaux légitimes, découragés par un système qui récompense le copinage plus que le mérite. La RDC mérite-t-elle une élite juridique formée à la va-vite, ou des juristes capables de défendre l’État de droit ? L’hypocrisie du système, ce sont des textes stricts mais jamais appliqués.
L’UNIKIN dispose pourtant de règlements clairs : Arrêté ministériel n°175/2015 encadrant les études de troisième cycle. Obligation de publier dans des revues indexées. Procédures de soutenance strictes. Mais dans les faits ? Des pressions politiques pour faire passer des protégés. Des fraudes aux publications, avec des articles bidons dans des revues douteuses.
Des jurys complaisants, où l’on valide des thèses farcies de plagiat ou de raisonnements bancals. Qui contrôle les contrôleurs ? Le droit congolais mérite mieux que des faux docteurs. Si l’UNIKIN veut retrouver sa crédibilité, elle doit auditer immédiatement les 80 thèses produites et vérifier leur conformité aux standards. Sanctionner les fraudes, y compris parmi les enseignants complices.
Rétablir des critères stricts, avec des comités indépendants et des publications vérifiables. Le Doyen Esambo, en tant que garant de l’intégrité académique, doit s’expliquer publiquement. Les Congolais ont le droit de savoir si leurs futurs magistrats, professeurs et dirigeants ont réellement mérité leurs titres… ou s’ils les ont achetés. Sinon, la “Colline inspirée” ne sera plus qu’un mouroir de l’excellence, et le droit congolais, une farce.
TEDDY MFITU
Polymathe, chercheur et écrivain / Consultant senior cabinet CICPAR













